Page:Daudet - Jack, II.djvu/348

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menait sous la mitraille à l’ambulance, avant de revenir prendre sa part du danger.

Il était encore de bonne heure, quand ils arrivèrent au bureau central. Pourtant la grande salle d’attente se trouvait déjà remplie d’une foule depuis longtemps assise sur des bancs de bois, autour d’un énorme poêle pétillant et ronflant. Il régnait là une atmosphère suffocante, lourde, somnolente, qui communiquait le même accablement à toute l’assistance, aux malheureux arrivant sans transition du froid de la rue dans cette étuve, aux employés écrivant au fond derrière un vitrage, au garçon de salle chargeant le poêle d’un air abattu. Quand Jack entra au bras de Bélisaire, tous les regards se tournèrent vers lui, hargneux et inquiets.

« Allons, bon !… encore un… » semblaient-ils dire. En effet, l’encombrement est si grand dans les établissements hospitaliers, chaque lit de souffrance est tellement envié, brigué, disputé. L’administration a beau faire des efforts considérables, la charité a beau se multiplier, il y a toujours plus de malades que de place pour les recevoir. C’est qu’il s’y entend à forger toutes sortes de maux, ce féroce Paris, à en inventer d’étranges, d’imprévus, de compliqués, avec l’aide du vice, de la misère et de toutes les combinaisons qu’amènent entre eux ces deux éléments de souffrance. De nombreux spécimens de son savoir-faire s’étalaient là, piteusement, sur les bancs sor-