Page:Daudet - Jack, II.djvu/62

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— Ah ! une lettre d’Indret… s’écria d’Argenton, puis il se mit à lire malicieusement ses journaux sous le regard fiévreux de Charlotte, en gardant la lettre à côté de lui sans l’ouvrir, comme un chien qui défend un os auquel il ne veut pas qu’on touche encore… Ah ! voilà le livre de chose qui vient de paraître. En fait-il cet animal-là !… Tiens ! des vers d’Hugo… Toujours donc !

Pourquoi cette lenteur cruelle à déplier les feuilles de son journal ? Parce que Charlotte est là, derrière lui, impatiente, la joue enflammée de joie ; parce que chaque fois qu’il arrive une lettre d’Indret la mère se montre sous l’amante, et que ce monstrueux égoïste lui en veut de n’être pas exclusivement et tout entière à lui.

C’est pour cette raison qu’il a envoyé l’enfant si loin, si loin. Mais le cœur des mères, même de celles-là, est fait de telle sorte, que plus les enfants sont loin, plus elles les aiment, comme si elles voulaient, à force d’amour, combler la distance et rapprocher les cœurs.

Depuis le départ de Jack, sa mère, tourmentée par ses remords, l’adorait de toute la faiblesse qu’elle avait mise à l’abandonner. Elle évitait de parler de lui pour ne pas irriter le poëte, mais elle y pensait.

Il devinait cela. Sa haine pour l’enfant s’en accrut, et aux premières lettres de Roudic se plaignant de l’apprenti, il avait eu des dédains satisfaits.