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Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/154

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crainte aussi d’assombrir ce beau visage, seule lumière de sa vie.

Mais, cette fois, Autheman avait pris la résolution d’en finir, de dire ce qui l’étouffait depuis trois ans ; et il attendait, allant et venant sur les dalles, ou s’accoudant à la balustrade, pour regarder les trains qui passaient…

L’express du matin !…

Celui-là s’annonçait par le tremblement lointain du sol, une aspiration qui faisait le vide sur la voie déserte et droite, toute jonchée des bouquets fleuris, des branches vertes coupées par l’orage. Devant les pawlonias, c’était une vraie litière de printemps où il aurait fait bon s’étendre… Oh ! le rêve de sa jeunesse, dormir là, sa joue sur le rail, l’horrible joue que rien ne pouvait guérir… Et maintenant encore, tout son grand corps se tendait par-dessus la rampe, attiré par un vertige, une tentation suprême. Mais déjà le train avait disparu dans un ouragan, hurlant, sifflant, avec l’éclair doré de sa machine en cuivre, toutes ses petites fenêtres qui n’en faisaient plus qu’une, et le tourbillon de poussière, d’étincelles et de feuilles folles, emportées au vent de sa course à toute vapeur. Il y eut, après, une