Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/16

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 Aimons-nous bien, ma Linette, ne nous quittons jamais. » Tout contre elle, avec une longue caresse appuyée sur ses cheveux gris, Éline répond tendrement, mais très bas, pour ne pas pleurer : « Jamais ! tu sais bien, jamais… »

La chaleur, le repas, trois nuits sans sommeil et tant de larmes ! Elle dort à présent, la pauvre mère. Éline va et vient sans bruit, lève la table, range un peu la maison que ce départ affreux et brusque a bouleversée. C’est sa façon d’engourdir son chagrin, dans une activité matérielle. Mais arrivée à cette embrasure de fenêtre au rideau constamment relevé, où la vieille femme se tenait tout le jour, le cœur lui manque pour serrer ces menus objets qui gardent la trace d’une habitude et comme l’usure des doigts tremblants qui les maniaient, les ciseaux, les lunettes sorties de leur étui marquant la page d’un volume d’Andersen, le crochet en travers d’un ouvrage commencé débordant du tiroir de la petite table, et le bonnet de dentelle posé sur l’espagnolette, ses brides mauves dénouées et pendantes.

Éline s’arrête et songe.

Toute son enfance tient dans ce coin. C’est là