Aller au contenu

Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/267

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Pourtant on la choyait à l’écluse. Romain qui crevait de joie d’avoir sa femme à lui, pour lui, d’être ensemble, se privait de chanter et de rire par égard pour la pauvre mère ; et lorsqu’il venait doucement poser sur la commode un de ces grands bouquets de roseaux, d’iris, de panaches d’eau comme lui seul savait les faire, il se préparait avant d’entrer dans cette chambre en deuil, essayait de penser à des choses tristes : Une supposition que Sylvanire serait malade ou que Monsieur la rappellerait avec les enfants… Mais son geste contenu, ses petits yeux hypocritement baissés, le « cré cochon, madame Ebsen » qu’il bredouillait sans conviction, irritaient et gênaient Sylvanire qui le renvoyait bien vite évaporer dehors, à l’air vif du barrage, l’ivresse de son bonheur, égoïste comme tous les grands bonheurs.

C’est avec la petite Fanny que la mère se plaisait le mieux ; elle l’installait à un petit ouvrage à côté d’elle et lui parlait d’Éline tout le jour : « N’est-ce pas que tu l’aimais bien ?… N’est-ce pas que tu la voulais pour maman ?… » Et dans le duvet de ces joues fraîches elle retrouvait un peu des caresses de sa fille, la trace de sa main