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Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/365

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Puis, à mots pressés et brûlants, il essaie de lui faire comprendre ce qu’elle a été dans sa vie. Après l’enfance solitaire et infirme, la jeunesse sans joie, craintive de se laisser voir ; aux heures aimantes et conquérantes, la sensation atroce de l’insecte laid qui fuit sous les pierres, de peur qu’on l’écrase. Un jour, elle est venue enfin, et tant de lumière s’épandait autour d’elle, qu’il s’est senti ranimé, vivifié. Mêmes ses tortures d’amour, l’angoisse – quand il la regardait sous la charmille avec Déborah – l’angoisse de se dire : « Elle ne voudra jamais de moi…, » même cela, c’était doux, venant d’elle.

« Te rappelles-tu, Jeanne, quand ma mère est allée te demander ?… J’ai passé l’après-midi ici, sur ce banc, à l’attendre. Oh ! sans impatience, et très calme. Je me disais : Si elle ne veut pas, je meurs… Je savais comment ; toutes mes dispositions étaient prises… Eh bien, regarde-moi. Tu sais que je ne fais pas de phrases… Me voilà devant toi comme il y a onze ans, très ferme dans ma volonté de mourir pour un refus, et l’heure et le lieu décidés… Prononce. »

Elle le connaît sérieux et sincère, et se garde bien d’articuler le « non » qu’il peut lire dans la décision