Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/81

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de se dévouer, de se sacrifier à un pauvre être… Le monde est si méchant, il a la vue si courte ! » En parlant, elle inclinait, vers les pages à traduire, ses lourdes nattes d’un blond argenté, ses joues duvetées, un peu pâlies par le chagrin ; et tout à coup, tournée à demi vers sa mère :

« Dis donc, maman, je crois que ceci me regarde, moi, la demoiselle trop gaie… écoute : Le rire et la gaieté sont les apanages d’un cœur corrompu. Nos cœurs n’en ont pas besoin quand la paix de Dieu y règne.

– Le fait est, » dit la mère, « que je ne l’ai jamais vue rire, cette petite Châtelus ; et tu comprends, comme c’est elle qui a fait le livre… »

Lina s’interrompit brusquement : « Voici qui est plus fort… » Elle se dressa et lut toute frémissante : « Un père, une mère, un mari, des enfants déçoivent l’affection ; en tout cas, ils meurent. Y attacher son cœur, c’est faire un mauvais calcul.

– Faut-il être pède !… » fit Mme Ebsen, à qui tout son accent revenait dans un élan de vraie colère.