Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/121

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mand, dans la maison, et non pas la duchesse, vraie mondaine française, trouvant toujours le dîner bon quand elle a une robe seyante à sa beauté, quand le service est paré, fleuri, décoratif ; mais l’attentif de Madame, le prince d’Athis, palais raffiné, estomac fini, rongé par les cuisines de cercle et qui ne se nourrit pas exclusivement de vaisselle plate ni de la vue des livrées de gala à mollets blancs irréprochables. C’est pour lui que le soin des menus compte parmi les préoccupations de la belle Antonia, pour lui les nourritures montées et l’ardeur des grands vins de côte qui, ce soir, franchement, n’ont guère allumé la table.

Même torpeur, même réserve gourmée au dessert qu’aux hors-d’œuvre, à peine une rougeur aux joues et aux nez des femmes. Un dîner de poupées de cire, officiel, majestueux, de ce majestueux qui s’obtient surtout avec de l’espace dans le décor, des hauteurs de plafonds, des siéges très écartés supprimant l’intimité du coude à coude. Un froid noir, profond, un froid de puits, passe entre les couverts malgré la tiède nuit de juin dont le souffle venu des jardins par les persiennes entrecloses gonfle dou-