Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/205

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suivait, dans cette petite tête, toutes les péripéties de son roman.

Il se fit conduire rue de Courcelles. Plus personne. La princesse partie en voyage le matin même, lui dit-on. Pris d’un affreux découragement, il rentra chez lui pour n’être pas obligé, au cercle, de parler et de répondre. Sa grande baraque moyen-âgeuse dressant sa façade de Tour de la faim, toute bordée d’écriteaux, acheva de lui serrer le coeur par le tas de notes en retard qu’elle lui rappelait ; puis la rentrée à tâtons dans cette odeur d’oignon frit qui remplissait tout l’hôtel, le petit domestique rageur se fabriquant, les soirs de dîner au cercle, un faubourien miroton. Un peu de jour traînait encore dans l’atelier, et Paul, jeté sur un divan, tout en se demandant quelle déveine déjouait sa prudence et ses combinaisons les plus adroites, s’endormit pour deux heures, après lesquelles il se réveilla transformé. De même que la mémoire s’aiguise au sommeil du corps, ses facultés de volonté et d’intrigue n’avaient cessé d’agir pendant ce court repos. Il y avait reconquis un plan nouveau et cette froide et ferme résolution, autrement rare chez nos jeunes français que la bravoure armée.

Prestement habillé, lesté de deux œufs et d’une tasse de thé, avec une légère tiédeur de petit fer dans la barbe et les moustaches, quand