Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui auraient dû l’avertir. Ah ! bête, bête… Comment ne s’être pas doutée ?…

La sortie, enfin ! mais si lente encore, des haltes à chaque pas, des saluts, des sourires, les adieux échangés… « Que faites-vous cet été ? Venez donc nous voir à Deauville… » Par l’étroit couloir où l’on se presse, où les femmes achèvent de s’empaqueter, avec ce joli geste qui assure les boutons d’oreilles, par le large escalier de marbre blanc au bas duquel attend la livrée, la mère, tout en causant, guette, écoute, cherche à surprendre dans la rumeur de la grande ruche mondaine qui se disperse pour des mois, un mot, une allusion à quelque scène de corridor. Justement voici la duchesse qui descend, fière et droite dans son long manteau blanc et or, au bras du jeune garde-noble. Elle sait quel tour infâme lui a joué son amie, et les deux femmes croisent au passage un regard froid, sans expression, plus redoutable que les plus violentes engueulades de bateau-lavoir. Elles savent maintenant comment compter l’une sur l’autre et que tous les coups porteront, frappés aux bons endroits par des mains exercées, dans cette guerre au curare succédant à une intimité de sœurs ; mais elles accomplissent la corvée mondaine, masquées d’un pareil sang-froid, et leurs deux haines, l’une puissante, l’autre venimeuse, peuvent se frôler,