Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/345

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fonction d’être beau, à guetter avec inquiétude le centenaire du vieux Réhu. Quant à lui, il travaillait. Deux tableaux au salon, cette année, pas mal placés, pas mal vendus. En revanche, un créancier aussi imprudent que féroce avait saisi le paladin qui, d’étape en étape, encombrant d’abord un superbe rez-de-chaussée de la rue de Rome, déménagé ensuite dans une écurie des Batignolles, se morfondait maintenant sous le hangar d’un nourrisseur à Levallois, où, de temps en temps, on allait le visiter en famille.

« Voilà la gloire ! » ajoutait Védrine en riant, pendant que la voix de l’huissier réclamait le témoin Astier-Réhu. La silhouette du secrétaire perpétuel se découpa une minute sur la lumière poudreuse du tribunal, très droite, très ferme, mais son dos qu’il ne surveillait pas, ses larges épaules frissonnantes trahissaient une vive émotion. « Pauvre Crocodilus ! murmura le sculpteur, il passe par de rudes épreuves… Cette histoire d’autographes, le mariage de son fils…

— Paul Astier est marié ?

— Depuis trois jours, avec la duchesse… Une espèce de mariage morganatique sans autre assistance que la maman du jeune homme et les quatre témoins… J’en étais, comme tu penses, puisqu’une fatalité singulière m’associe à tous les faits et gestes de cette famille Astier. »