Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute sa vie est là, et quand il vous dit : « Si vous saviez que c’est bon ! » avec le clapement de langue qui savoure une pêche mûre, il parle comme il pense et son amorce est d’autant plus forte et dangereuse. Par exemple, une fois l’hameçon happé, bien ancré, l’Académie ne s’occupe plus de son patient, elle le laisse s’agiter, barboter… Voyons, toi, pêcheur, quand tu as pris une belle perche, un brochet de poids et que tu le files derrière ton bateau, comment appelles-tu ça ?

— Noyer le poisson ?…

— Tout juste ! Regarde Moser… A-t-il bien une tête de poisson noyé !… dix ans qu’on le charrie à la remorque. Et de Salèle, et Guérineau… combien d’autres qui ne se débattent même plus.

— Mais enfin, on y entre, à l’Académie, on y arrive…

— Jamais à la remorque… Et puis, quand on réussit, la belle affaire ! Qu’est-ce que ça rapporte ?… de l’argent ? pas tant que tes foins… La notoriété ? Oui, dans un coin d’église grand comme un fond de chapeau… Encore si ça donnait du talent, si ceux qui en ont ne le perdaient pas une fois là, glacés par l’air de la maison. L’Académie est un salon, tu comprends ; il y a un ton qu’il faut prendre, des choses qui ne se disent pas ou s’atténuent. Finies, les belles inven-