Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/91

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comique, c’est que la duchesse qui l’a fait entrer à l’Académie, ce Laniboire, qui l’a vu humble et piteux à ses pieds, priant, geignant pour être élu… « Nommez-le, disait-elle à mon cousin Loisillon, nommez-le pour m’en débarrasser… » Maintenant elle l’honore comme un Dieu, l’a toujours près d’elle à sa table, remplaçant son mépris de jadis par la plus plate admiration ; ainsi le sauvage s’agenouille et tremble devant l’idole qu’il s’est taillée lui-même. Si je les connais, les salons académiques, niaiserie, cocasserie, vilaines petites intrigues !… Et tu irais te fourrer là-dedans ? Je me demande pourquoi. Tu as la vie la plus belle du monde. Moi qui ne tiens à rien, je t’ai presque envié quand je t’ai vu à Clos-Jallanges avec ta sœur : la maison idéale à mi-côte, de hauts plafonds, des cheminées à entrer dedans tout entier, des chênes, des blés, des vignes, la rivière, une existence de gentilhomme campagnard comme on en trouve dans les romans de Tolstoï, pêche et chasse, de bons livres, un voisinage pas trop bête, des closiers pas trop voleurs, et pour l’empêcher de l’épaissir en ce perpétuel bien-être, le sourire de ta malade, si affinée, si vivante dans son fauteuil de blessée, si heureuse lorsque au retour d’une course en plein air tu lui lis quelque beau sonnet, des vers de nature, bien jaillis, écrits au crayon sur le bord de ta selle, ou le ventre dans