Page:Daudet - La Police et les chouans sous le Consulat et l’Empire, 1895.djvu/104

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descendant au-dessous du genou, bas en coton et souliers de gros cuir. Tous étaient armés. Indépendamment du fusil que chacun d’eux avait en bandoulière, on pouvait voir dans le portemanteau mal fermé, placé en travers de leur selle, des pistolets et des poignards.

Cet appareil révélait des gens redoutables, et ne prévenait pas en leur faveur. Mais en ces temps révolutionnaires, quand les craintes des guerres civiles restaient toujours aussi vives que si de nouveaux troubles eussent été au moment d’éclater ; quand la chouannerie, en dépit de la pacification des pays récemment insurgés et des lois d’amnistie, conservait toujours une physionomie menaçante ; quand la police de Fouché, non encore organisée aussi fortement qu’elle le fut plus tard, était impuissante à réprimer les malfaiteurs qui, sous prétexte de vengeances politiques, exerçaient leurs forfaits sur toute l’étendue du territoire ; quand enfin l’absence de toute protection exposait les citoyens aux pires violences, il ne pouvait venir à l’esprit d’un pauvre aubergiste de campagne de manifester à des clients de passage, si rébarbatifs qu’ils fussent, autre chose qu’un prompt empressement à les servir.

Celui-ci s’exécuta donc avec une hâte qui prouvait surtout son désir de se débarrasser d’eux. Aux lambeaux de conversation qu’il entendait en les servant, il comprit qu’ils arrivaient de Tours et que, venus de divers points du département, ils s’y étaient donné rendez-vous pour en partir ensemble. Mais il ne parvint pas à savoir en quel lieu ils se rendaient. Lorsqu’à trois heures, après un long et copieux repas, ils remontèrent à cheval, il ne put que constater qu’ils se dirigeaient vers Larçay, et qu’à la sortie de Saint-Avertin leur groupe se grossissait de deux piétons moins bien vêtus qu’eux et d’assez piètre mine.