Page:Daudet - La Police et les chouans sous le Consulat et l’Empire, 1895.djvu/221

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Le 6 juin, par les ordres du général Antonio, les huit individus qu’il avait enrôlés se trouvaient réunis dans l’auberge d’Aubigny. Ils y étaient venus de divers côtés, pendant la nuit, pour ne pas éveiller les soupçons de la police. Ils passèrent à table la plus grande partie de cette journée. Vers le soir, alors qu’alourdis par la bonne chère, le cidre et la capiteuse eau-de-vie du Calvados, ils tombaient de sommeil, arrivèrent Armand Le Chevallier et Mme Aquet de Férolles. La jeune femme était inconnue de la plupart d’entre eux. Mais quand ils la virent entrer, ils furent séduits par sa grâce caressante que relevait l’élégance de sa toilette : une robe en mousseline blanche et un chapeau de paille à larges ailes, orné de marabouts. Elle voulut elle-même leur verser à boire ; elle but avec eux, leur prodigua des encouragements et des sourires. Elle acheva de les enivrer. À ce moment, se présentèrent deux personnages dont il fut parlé plus tard au procès sans que leur identité eût pu être établie. Ils venaient, au nom d’un certain nombre de royalistes des environs, pour obtenir de Le Chevallier et du général Antonio que tout projet de violence fût abandonné. Leur langage souleva des protestations. Le général Antonio s’emporta. C’était trop tard pour reculer.

Comme on lui observait que le coup qu’il méditait livrerait le pays à de nouveaux troubles et exposerait beaucoup d’innocents à la rigueur des lois :

– Tant mieux ! s’écria-t-il. Je voudrais que tout ce qu’il y a d’anciens chouans fussent menacés d’arrestation. Cela les ferait sortir de leur indifférence.

Le débat se prolongea, en présence des conjurés. Quelques-uns commençaient à prendre peur. Le Chevallier intervint alors pour les rassurer. Il exalta leur courage par une allocution enflammée.