Page:Daudet - La Police et les chouans sous le Consulat et l’Empire, 1895.djvu/73

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l’homme le plus habile qui fût pour tirer aux gens les vers du nez. On peut dire de ceux-là qu’ils furent des espions sans le savoir et des délateurs sans s’en douter, ce qui n’empêche que leurs services furent souvent plus utiles que ceux dont les auteurs faisaient métier d’en rendre de cette sorte à quiconque y mettait le prix.

Les espions salariés, sinon avoués, sont plus nombreux. On ne les connaît pas tous ; et, sans doute, parmi ceux qu’on désigne, en existe-t-il que sur la foi de faits mal connus ou de rapports inexacts, on a calomniés en les accusant d’avoir servi la police. En revanche, il en est beaucoup qui la servirent, sans que leur situation apparente autorisât le soupçon et sur la conduite desquels plane un doute dont il semble juste de faire bénéficier leur mémoire, en ne les nommant pas. Ce doute n’est pas permis pour Antoine de Becdelièvre et Duchatellier, qui s’étaient chargés d’assassiner Georges et à qui leur entreprise coûta la vie. Il ne l’est pas davantage pour ceux dont il me reste à parler.

Le premier que me signalent mes notes recueillies aux Archives dans le but de reconstituer ce personnel ténébreux y est désigné sous le nom d’Édouard, dit « l’infâme Caroline ». Il se nommait en réalité Fernand Pelage Duclos de La Morlière. Né à Istres, dans les Bouches-du-Rhône, il était, avant la Révolution, lieutenant aux gardes du corps du Roi. Il avait quarante-quatre ans lorsque, à Gap, où il se trouvait en surveillance – c’était en 1801 – il se présenta au préfet des Basses-Alpes et lui offrit de faire découvrir une fabrique de fausses pièces d’or. Pour prix de ce service, il demandait six cents francs. Le ministre, consulté, refusa de l’utiliser, en raison de ses antécédents déplorables. Refus qui fait rêver. Fouché pouvait-il croire que, pour former un personnel d’espions, il trouverait d’honnêtes gens ?