Page:Daudet - La Police et les chouans sous le Consulat et l’Empire, 1895.djvu/81

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constatant qu’il leur fallut toute une année pour l’achever. Leurs scies minuscules n’entamaient le fer des barreaux qu’avec une lenteur désespérante. À tout instant, elles se brisaient. La provision fut bientôt épuisée. Le traiteur, redoutant les responsabilités du rôle auquel il s’était d’abord prêté, refusa de s’entremettre pour la renouveler. Le médecin, de son côté, ne voyait les prisonniers qu’en présence de témoins. Ses services étaient nécessairement fort restreints. D’Andigné et Suzannet furent au moment de suspendre leurs préparatifs faute d’instruments pour les continuer.

Le premier osa se mettre alors à la recherche de nouveaux complices. Un cabinet de lecture de Pontarlier lui envoyait régulièrement des livres qu’il y retournait après les avoir lus. Il écrivit sur les marges la nomenclature des objets qu’il désirait avoir. Comment ces lignes imprudentes parvinrent-elles à un nouveau traiteur et comment l’appel qu’elles renfermaient fut-il compris de lui ? Les documents sont muets sur ce point. Ce qu’ils affirment, c’est que, grâce à cet homme généreux, dès ce jour, les ressorts de montre ne manquèrent plus. Il en arrivait tous les matins avec le repas des captifs.

Arrivèrent de même des clous dont ils se servaient pour démolir les parties de mur qui leur faisaient obstacle, de la poudre à cheveux à l’aide de laquelle, après l’avoir convertie en mastic et teintée de rouille, ils dissimulaient durant le jour les entailles faites aux ferrures pendant la nuit. Ils déployaient tant d’habileté pour cacher ces entailles peu à peu plus profondes que le commandant du fort ne les soupçonna même pas et n’eut jamais l’idée de douter de la solidité des barreaux. S’il y eût seulement mis la main, tout eût été découvert. Un bonheur invraisemblable ne cessa de favoriser les prisonniers.