Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/110

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son élégance. Cela sent le bois neuf, la peinture fraîche, le vernis reluisant, et, dans la poussière des mansardes, par les escaliers misérables où le peuple met toutes les boues qu’il a traversées, traînent des copeaux de bois de rose, des rognures de satin et de velours, des parcelles de clinquant, tous les débris du luxe employé pour l’éblouissement des yeux enfantins. Puis, les étalages se parent. Derrière les vitrines claires, la dorure des livres d’étrennes monte comme un flot scintillant sous le gaz les étoffes de couleurs variées et tentantes montrent leurs plis cassants et lourds, pendant que les demoiselles de magasin, les cheveux en étage, un ruban sous leur col, font l’article, un petit doigt en l’air, ou remplissent des sacs de moire, dans lesquels les bonbons tombent en pluie de perles.

Mais, en face de ce commerce bourgeois, bien chez lui, chauffé, retranché derrière ses riches devantures, s’installe l’industrie improvisée de ces baraques en planches, ouvertes au vent de la rue, et dont la double rangée donne aux boulevards l’aspect d’un mail forain. C’est là qu’est le vrai intérêt et la poésie des étrennes. Luxueuses dans le quartier de la Madeleine, bourgeoises vers le boulevard Saint-Denis, plus « peuple » en remontant à la Bastille, ces petites baraques se modifient pour leur public, calculent leurs chances de succès au porte-monnaie plus ou moins garni des passants. Entre elles se dressent des tables volantes, chargées de menus objets, miracles de la petite industrie parisienne, bâtis de rien, frêles et chétifs, et que la vogue entraîne quelquefois dans son grand coup de vent, à cause de leur légèreté même. Enfin, au long des trottoirs, perdues dans la file des voitures qui frôlent leur marche errante, les marchandes d’oranges com-