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grand trot suivies du souffle court et haletant de leur berger, et le roulement sourd du coupé de Jenkins commençant sa tournée de chaque jour.

D’abord à l’hôtel de Mora. C’était, sur le quai d’Orsay tout à côté de l’ambassade d’Espagne, dont les longues terrasses faisaient suite aux siennes, un magnifique palais ayant son entrée principale rue de Lille et une porte sur le bord de l’eau. Entre deux hautes murailles revêtues de lierre, reliées entre elles par d’imposants arcs de voûte, le coupé fila comme une flèche, annoncé par deux coups d’un timbre retentissant qui tirèrent Jenkins de l’extase où la lecture de son journal semblait l’avoir plongé. Puis les roues amortirent leur bruit sur le sable d’une vaste cour et s’arrêtèrent, après un élégant circuit, contre le perron de l’hôtel, surmonté d’une large marquise en rotonde. Dans la confusion du brouillard, on apercevait une dizaine de voitures rangées en ligne, et le long d’une avenue d’acacias, tout secs en cette saison et nus dans leur écorce, les silhouettes de palefreniers anglais promenant à la main les chevaux de selle du duc. Tout révélait un luxe ordonné, reposé, grandiose et sûr.

« J’ai beau venir matin, d’autres arrivent toujours avant moi », se dit Jenkins en voyant la file où son coupé prenait place ; mais, certain de ne pas attendre, il gravit, la tête haute, d’un air d’autorité tranquille, ce perron officiel que franchissaient chaque jour tant d’ambitions frémissantes, d’inquiétudes aux pieds trébuchants.

Dès l’antichambre, élevée et sonore comme une église et que deux grands feux de bois, en dépit des calorifères brûlant nuit et jour, emplissaient d’une vie rayonnante, le luxe de cet intérieur arrivait par bouf-