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Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/164

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niche. Il sort de la nursery enchanté. « Positivement en… en… enchanté », répète-t-il la tête branlante, en montant le grand escalier aux murs sonores, décorés de bois de cerf, qui conduit au dortoir.

Très claire, très aérée, cette vaste salle, occupant toute une façade, à de nombreuses fenêtres, des berceaux espacés, tendus de rideaux floconneux et blancs comme des nuées. Des femmes vont et viennent dans la large travée du milieu, des piles de linge sur les bras, des clés à la main, surveillantes ou « remueuses ». Ici l’on a voulu trop bien faire, et la première impression des visiteurs est mauvaise. Toutes ces blancheurs de mousseline, ce parquet ciré où la lumière s’étale sans se fondre, la netteté des vitres reflétant le ciel tout triste de voir ces choses, font mieux ressortir la maigreur, la pâleur malsaine de ces petits moribonds couleur de suaire… Hélas ! les plus âgés n’ont que six mois, les plus jeunes quinze jours à peine, et déjà il y a sur tous ces visages, ces embryons de visages, une expression chagrine, des airs renfrognés et vieillots, une précocité souffrante, visible dans les plis nombreux de ces petits fronts chauves, engoncés de béguins festonnés de maigres dentelles d’hospice. De quoi souffrent-ils ? Qu’est-ce qu’ils ont ? Ils ont tout, tout ce qu’on peut avoir : maladies d’enfant et maladies d’homme. Fruits du vice et de la misère, ils apportent en naissant de hideux phénomènes d’hérédité. Celui-là a le palais perforé, un autre de grandes plaques cuivrées sur le front, tous le muguet. Puis ils meurent de faim. En dépit des cuillerées de lait, d’eau sucrée, qu’on leur introduit de force dans la bouche, d’un peu de biberon employé malgré la défense, ils s’en vont d’inanition. Il faudrait à ces épuisés avant de naître la nourriture la plus jeune,