Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/179

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le groupe de l’autre soir se reforma dans le cercle lumineux de l’abat-jour, au grand contentement de Paul de Géry. C’était la première soirée de ce genre qu’il passait dans Paris ; elle lui rappelait d’autres bien lointaines, bercées par les mêmes rires innocents le bruit doux des ciseaux reposés sur la table, de l’aiguille piquant du linge, ou ce froissement du feuillet qu’on tourne, et de chers visages, à jamais disparus, serrés eux aussi autour de la lampe de famille, hélas ! si brusquement éteinte…

Entré dans cette intimité charmante, désormais il n’en sortit plus, prit ses leçons parmi les jeunes filles, et s’enhardit à causer avec elles, quand le bonhomme refermait son grand livre. Ici tout le reposait de cette vie tourbillonnante où le jetait la luxueuse mondanité du Nabab ; il se retrempait à cette atmosphère d’honnêteté, de simplicité, essayait aussi d’y guérir les blessures dont une main plus indifférente que cruelle lui criblait le cœur sans merci.

« Des femmes m’ont haï, d’autres femmes m’ont aimé. Celle qui m’a fait le plus de mal n’a jamais eu pour moi ni amour ni haine. » C’est cette femme, dont parle Henri Heines, que Paul avait rencontrée. Félicia était pleine d’accueil et de cordialité pour lui. Il n’y avait personne à qui elle fit meilleur visage. Elle lui réservait un sourire particulier où l’on sentait la bienveillance d’un œil d’artiste s’arrêtant sur un type qui lui plaît, et la satisfaction d’un esprit blasé que le nouveau amuse, si simple qu’il paraisse. Elle aimait cette réserve, piquante chez un Méridional, la droiture de ce jugement dépourvu de toute formule artistique ou mondaine et ragaillardi d’une pointe d’accent local. Cela la chan-