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Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/201

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sieurs du conseil ; et je me plais à constater que Bois-Landry le cocher, pour ne citer que celui-là, est autrement bien élevé que Bois-Landry le maître.

M. Noël, seul, tranchait par son ton familier et la vivacité de ses reparties. En voilà un qui ne se gêne pas pour appeler les choses par leur nom. C’est ainsi qu’il disait tout haut à M. Francis, d’un bout à l’autre du salon : « Dis donc, Francis, ton vieux filou nous a encore tiré une carotte cette semaine… » Et comme l’autre se rengorgeait d’un air digne, M. Noël s’est mis à rire : « T’offusque pas, ma vieille… Le coffre est solide… Vous n’en viendrez jamais à bout. » Et c’est alors qu’il nous a raconté le prêt des quinze millions dont j’ai parlé plus haut.

Cependant je m’étonnais de ne voir faire aucun préparatif pour ce souper que mentionnaient les cartes d’invitation, et je manifestais tout bas mon inquiétude à une de mes charmantes nièces qui me répondit :

« On attend M. Louis.

M. Louis ?…

— Comment ! Vous ne connaissez pas M. Louis, le valet de chambre du duc de Mora ? »

On m’apprit alors ce qu’était cet influent personnage dont les préfets, les sénateurs, même les ministres recherchent la protection, et qui doit la leur faire payer salé, puisque avec ses douze cents francs d’appointements chez le duc, il a économisé vingt-cinq mille livres de rente, qu’il a ses demoiselles en pension au Sacré-Cœur, son garçon au collège Bourdaloue, et un châlet en Suisse où toute la famille va s’installer aux vacances.

Le personnage arriva par là-dessus ; mais rien dans son physique n’aurait fait deviner cette position unique à Paris. Pas de majesté dans la tournure, un gilet bou-