Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/202

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tonné jusqu’au col, l’air chafouin et insolent, et une façon de parler sans remuer les lèvres, bien malhonnête pour ceux qui vous écoutent.

Il salua l’assemblée d’un léger mouvement de tête, tendit un doigt à M. Noël, et nous étions là à nous regarder, glacés par ses grandes manières, quand une porte s’ouvrit au fond et le souper nous apparut avec toutes sortes de viandes froides, des pyramides de fruits, des bouteilles de toutes les formes, sous les feux de deux candélabres.

« Allons, Messieurs, la main aux dames… »

En une minute nous voici installés, ces dames assises avec les plus âgés ou les plus conséquents de nous tous, les autres debout, servant, bavardant, buvant dans tous les verres, piquant un morceau dans toutes les assiettes. J’avais M. Francis pour voisin, et je dus entendre ses rancunes contre M. Louis, dont il jalousait la place si belle en comparaison de celle qu’il occupait chez son décavé de la noblesse.

« C’est un parvenu, me disait-il tout bas… Il doit sa fortune à sa femme, à Madame Paul. »

Il paraît que cette Madame Paul est une femme de charge, depuis vingt ans chez le duc, et qui s’entend comme personne à lui fabriquer une certaine pommade pour des incommodités qu’il a. Mora ne peut pas s’en passer. Voyant cela, M. Louis a fait la cour à cette vieille dame, l’a épousée quoique bien plus jeune qu’elle ; et afin de ne pas perdre sa garde-malade aux pommades, l’Excellence a pris le mari pour valet de chambre. Au fond, malgré ce que je disais à M. Francis, moi je trouvais ça très-bien et conforme à la plus saine morale puisque le maire et le curé y ont passé. D’ailleurs, cet excellent repas, composé de nourritures fines et très-chères que