Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/205

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maine, Il s’est même passé quelque chose de très amusant… Nous avons beaucoup de champignons dans le second parc, et Son Excellence s’amuse quelquefois à en ramasser. Voilà qu’à dîner on sert un grand plat d’oronges… Il y avait là, chose… machin… comment donc… Marigny, le ministre de l’Intérieur, Monpavon, et votre maître, mon cher Noël. Les champignons font le tour de la table, ils avaient bonne mine, ces messieurs en remplissent leurs assiettes, excepté M. le duc qui ne les digère pas et croit par politesse devoir dire à ses invités : « Oh ! vous savez, ce n’est pas que je me méfie. Ils sont très-sûrs… C’est moi-même qui les ai cueillis.

— Sapristi ! dit Monpavon en riant, alors, mon cher Auguste, permettez que je n’y goûte pas. » Marigny, moins familier, regardait son assiette de travers.

« Mais si, Monpavon, je vous assure… ils ont l’air très-sains ces champignons. Je regrette vraiment de n’avoir plus faim. »

Le duc restait très sérieux.

« Ah çà ! monsieur Jansoulet, j’espère bien que vous n’allez pas me faire cet affront, vous aussi. Des champignons choisis par moi.

— Oh ! Excellence, comment donc !… Mais les yeux fermés. »

Vous pensez s’il avait de la veine, ce pauvre Nabab, pour la première fois qu’il mangeait chez nous. Duperron, qui servait en face de lui, nous a raconté ça à l’office. Il paraît qu’il n’y avait rien de plus comique que de voir le Jansoulet se bourrer de champignons en roulant des yeux épouvantés, pendant que les autres le regardaient curieusement sans toucher à leurs assiettes. Il en suait, le malheureux ! Et ce qu’il y a de plus fort,