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Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/223

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bonnes soirées de son enfance où il s’endormait ainsi quand on voulait bien le lui permettre, quand la tête de l’aîné ne tenait pas toute la place ; il goûtait, pour la première fois depuis son retour en France, quelques minutes d’un repos délicieux en dehors de sa vie bruyante et factice, serré contre ce vieux cœur maternel qu’il entendait battre à coups réguliers comme le balancier de l’horloge centenaire adossée à un coin de la chambre, dans ce grand silence de la nuit et de la campagne que l’on sent planer sur tant d’espace illimité… Tout à coup le même long soupir d’enfant endormi dans un sanglot se fit entendre au fond de la chambre. Jansoulet releva la tête, regarda sa mère, et tout bas :

— Qu’est-ce que c’est ?…

— Oui, dit-elle, je le fais coucher là… Il pourrait avoir besoin de moi, la nuit.

— Je voudrais bien le voir, l’embrasser.

— Viens !

La vieille se leva, grave, prit sa lampe, marcha à l’alcôve dont elle tira le grand rideau doucement, et fit signe à son fils d’approcher, sans bruit. Il dormait… Et nul doute que dans le sommeil quelque chose revécût en lui qui n’y était pas pendant la veille, car au lieu de l’immobilité molle où il restait figé tout le jour, il avait à cette heure de grands sursauts qui le secouaient, et sur sa figure inexpressive et morte un pli de vie douloureuse, une contraction souffrante. Jansoulet, très ému, regarda ces traits maigris, flétris, terreux, où la barbe, ayant pris toute la vitalité du corps, poussait avec une vigueur surprenante, puis il se pencha, posa ses lèvres sur le front moite de sueur et, le sentant tressaillir, il dit tout bas gravement, res-