Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/273

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fauteuil, et resta là posée, prête à repartir souriante et haletante, jusqu’à ce que le sommeil la prit, se mît à la bercer, à la balancer doucement sans déranger sa jolie pose, comme une libellule sur une branche de saule trempant dans l’eau et remuée par le courant.

Pendant qu’ils la regardaient dodelinant sur son fauteuil :

« Pauvre petite fée, disait Félicia, voilà ce que j’ai eu de meilleur, de plus sérieux dans la vie comme amitié, sauvegarde et tutelle… C’est ce papillon qui m’a servi de marraine… Étonnez-vous maintenant des zigzags, des envolements de mon esprit… Encore heureux que je m’en sois tenue là… »

Et, tout à coup, avec une effusion joyeuse :

« Ah ! Minerve, Minerve, je suis bien contente que vous soyez venu ce soir… Mais il ne faut plus me laisser si longtemps seule voyez-vous… J’ai besoin d’avoir près de moi un esprit droit comme le vôtre, de voir un vrai visage au milieu des masques qui m’entourent… Un affreux bourgeois tout de même, fit-elle en riant, et un provincial par-dessus le marché… Mais c’est égal ! c’est encore vous que j’ai le plus de plaisir à regarder… Et je crois que ma sympathie tient surtout à une chose. Vous me rappelez quelqu’un qui a été la grande affection de ma jeunesse, un petit être sérieux et raisonnable lui aussi cramponné au terre-à-terre de l’existence, mais y mêlant cet idéal que nous autres artistes mettons à part pour le seul profit de nos œuvres… Des choses que vous dites me semblent venir d’elle… Vous avez la même bouche de modèle antique. Est-ce cela qui donne à vos paroles cette similitude ? Je n’en sais rien, mais à coup sûr, vous vous ressemblez… Vous allez voir… »