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Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/280

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vrier avait une expression de sécurité ironique qui marquait bien le don reçu des dieux.

Pendant qu’un inspecteur des Beaux-Arts, accouru en toute hâte, harnaché de travers et chauve jusque dans le dos, expliquait à Mohammed l’apologue du « Chien et du Renard », raconté au livret avec cette légende : « Advint qu’ils se rencontrèrent », et cette indication : « Appartient au duc de Mora », le gros Hemerlingue suant et soufflant à côté de l’Altesse, avait bien du mal à lui persuader que cette sculpture magistrale était l’œuvre de la belle amazone qu’ils avaient rencontrée la veille au Bois. Comment une femme aux mains faibles pouvait-elle assouplir ainsi le bronze dur, lui donner l’apparence de la chair ? De toutes les merveilles de Paris, c’était celle qui causait au bey le plus d’étonnement. Aussi s’informa-t-il auprès du fonctionnaire s’il n’y avait rien d’autre à voir du même artiste.

« Si fait, Monseigneur, encore un chef-d’œuvre… Si Votre Altesse veut venir de ce côté, je vais la conduire. »

Le bey se remit en marche avec sa suite. C’étaient tous d’admirables types, traits ciselés et lignes pures, pâleurs chaudes dont la blancheur du haïk absorbait jusqu’aux reflets. Magnifiquement drapés, ils contrastaient avec les bustes rangés sur les deux côtés de l’allée qu’ils avaient prise, et qui, perchés sur leurs hautes colonnettes, grêles dans l’air vide, exilés de leur milieu, de l’entourage dans lequel ils auraient rappelé sans doute de grands travaux, une affection tendre, une existence remplie et courageuse, faisaient la triste mine de gens fourvoyés, très penauds de se trouver là. À part deux ou trois figures de femme, riches épaules