Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/281

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encadrées de dentelles pétrifiées, chevelures de marbre rendues avec ce flou qui leur donne des légèretés de coiffures poudrées, quelques profils d’enfant aux lignes simples où le poli de la pierre semble une moiteur de vie, tout le reste n’était que rides, plis, crispations et grimaces, nos excès de travail, de mouvements, nos nervosités et nos fièvres s’opposant à cet art de repos et de belle sérénité.

Au moins la laideur du Nabab avait pour elle l’énergie, son côté aventurier et canaille, et cette expression de bonté, si bien rendue par l’artiste, qui avait eu le soin de foncer son plâtre d’une couche d’ocre lui donnant presque le ton hâlé et basané du modèle. Les Arabes firent, en le voyant, une exclamation étouffée : « Bou-Saïd… » (le père du bonheur). C’était le surnom du Nabab à Tunis, comme l’étiquette de sa chance. Le bey, lui, croyant qu’on avait voulu le mystifier, de le conduire ainsi devant le mercanti détesté, regarda l’inspecteur avec méfiance :

« Jansoulet ?… dit-il de sa voix gutturale.

— Oui, Altesse, Bernard Jansoulet, le nouveau député de la Corse. »

Cette fois le bey se tourna vers Hemerlingue, le sourcil froncé.

« Député ?

— Oui, Monseigneur, depuis ce matin ; mais rien n’est encore terminé. »

Et le banquier, haussant la voix, ajouta en bredouillant :

« Jamais une Chambre française ne voudra de cet aventurier. »

N’importe ! le coup était porté à l’aveugle confiance du bey dans son baron financier. Il lui avait si bien affirmé que l’autre ne serait jamais élu, qu’on pouvait