Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/313

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fés et fiévreux se crispaient avec un frémissement de convoitise.

— Prenez garde, monsieur le duc », dit Jenkins, très pâle, les lèvres serrées, « je ne voudrais pas vous alarmer outre mesure sur votre état de faiblesse, mais il est de mon devoir…

Mora eut un joli sourire d’insolence :

— Votre devoir et mon plaisir sont deux, mon brave. Laissez-moi brûler ma vie, si cela m’amuse. Je n’ai jamais eu d’aussi belle occasion que cette fois. »

Il tressaillit :

— La duchesse… »

Une porte sous tenture venait de s’ouvrir livrant passage à une folle petite tête ébouriffée en blond, toute vaporeuse dans les dentelles et les fanfreluches d’un saut-du-lit princier :

« Qu’est-ce qu’on m’apprend ? Vous n’êtes pas sorti ?… Mais grondez-le donc, docteur. Est-ce pas qu’il a tort de tant s’écouter ?… Regardez-le. Une mine superbe.

— Là… Vous voyez, dit le duc, en riant, à l’Irlandais… Vous n’entrez pas, duchesse ?

— Non, je vous enlève, au contraire. Mon oncle d’Estaing m’a envoyé une cage pleine d’oiseaux des îles. Je veux vous les montrer… Des merveilles de toutes les couleurs, avec de petits yeux en perles noires… Et frileux, frileux, presque autant que vous.

— Allons voir ça, dit le ministre. Attendez-moi Jenkins. Je reviens. »

Puis, s’apercevant qu’il tenait toujours sa lettre à la main, il la jeta négligemment dans le tiroir de sa petite table aux signatures, et sortit derrière la duchesse, avec un beau sang-froid de mari habitué à ces évolutions.