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Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/348

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lettres, sur les curiosités de la route, l’endroit que vous habiterez… Car on voit mieux ceux qui sont loin quand on peut se figurer le milieu où ils vivent. » Tout en causant, ils arrivaient au bout de l’allée couverte, terminée par une immense clairière dans laquelle se mouvait le tumulte du Bois, voitures et cavaliers s’alternant, et la foule à cette distance piétinant dans une poudre floconneuse qui la massait confusément en troupeau. Paul ralentit le pas enhardi par cette dernière minute de solitude.

« Savez-vous à quoi je pense, dit-il en prenant la main d’Aline ; c’est qu’on aurait plaisir à être malheureux pour se faire consoler par vous. Mais, si précieuse que me soit votre pitié, je ne puis pourtant vous laisser vous attendrir sur un mal imaginaire… Non, mon cœur n’est pas brisé, mais plus vivant, plus fort au contraire. Et si je vous disais quel miracle l’a préservé, quel talisman… »

Il lui mit sous les yeux un petit cadre ovale entourant un profil sans ombres, un simple contour au crayon où elle se reconnut, surprise d’être si jolie, comme reflétée dans le miroir magique de l’Amour. Des larmes lui vinrent aux yeux sans qu’elle sût pourquoi, une source ouverte dont le flot battait sa poitrine chasse. Il continua :

« Ce portrait m’appartient. Il a été fait pour moi… Cependant, au moment de partir, un scrupule m’est venu. Je ne veux le tenir que de vous-même… Prenez-le donc, et si vous trouvez un ami plus digne, quelqu’un qui vous aime d’un amour plus profond, plus loyal que le mien, je vous permets de le lui donner. »

Elle s’était remise de son trouble, et regardant de Géry bien en face avec une tendresse sérieuse :