Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/377

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combrement était plus fort, plus compact. Dans la pluie brumeuse, les vitraux de l’église illuminés, le retentissement sourd des chants funèbres sous les tentures noires prodiguées où disparaissait même la forme du temple grec, remplissaient toute la place de l’office en célébration, tandis que la plus grande partie de l’immense convoi se pressait encore dans la rue Royale, jusque vers les ponts, longue ligne noire rattachant le défunt à cette grille du Corps législatif qu’il avait si souvent franchie. Au-delà de la Madeleine, la chaussée des boulevards s’ouvrait toute vide, élargie, entre deux haies de soldats, l’arme au pied, contenant les curieux sur les trottoirs noirs de monde tous les magasins fermés, et les balcons, malgré la pluie, débordant de corps penchés en avant dans la direction de l’église, comme pour un passage de bœuf gras ou une rentrée de troupes victorieuses. Paris affamé de spectacles, s’en fait indifféremment avec tout, aussi bien la guerre civile que l’enterrement d’un homme d’État.

Il fallut que le fiacre revînt encore sur ses pas, fît un nouveau détour, et l’on se figure la mauvaise humeur du cocher et de ses bêtes, tous trois Parisiens dans l’âme et furieux de se priver d’une si belle représentation. Alors commença par les rues désertes et silencieuses, toute la vie de Paris s’étant portée dans la grande artère du boulevard, une course capricieuse et désordonnée, un trimballement insensé de fiacre à l’heure, touchant aux points extrêmes du faubourg Saint-Martin, du faubourg Saint-Denis, redescendant vers le centre et retrouvant toujours à bout de circuits et de ruses le même obstacle embusqué, le même attroupement, quelque tronçon du noir défilé entrevu dans l’écartement d’une rue, se déroulant