Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/379

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reil farouche attendant celui qui devait passer tout à l’heure, peut-être pour essayer de le reprendre, l’enlever de vive force à l’ennemi formidable qui l’emmenait. Hélas ! Toutes les charges de cavalerie, toutes les canonnades n’y pouvaient plus rien. Le prisonnier s’en allait solidement garrotté, défendu par une triple muraille de bois dur, de métal et de velours inaccessible à la mitraille, et ce n’était pas de ces soldats qu’il pouvait espérer la délivrance.

« Allez-vous-en… je ne veux pas rester là », dit Félicia furieuse, attrapant le carrick mouillé du cocher, prise d’une terreur folle à l’idée du cauchemar qui la poursuivait, de ce qu’elle entendait venir dans un affreux roulement encore lointain, plus proche de minute en minute. Mais, au premier mouvement des roues, les cris, les huées recommencèrent. Pensant qu’on le laisserait franchir la place, le cocher avait pénétré à grand-peine jusqu’aux premiers rangs de la foule maintenant refermée derrière lui et refusant de lui livrer passage. Nul moyen de reculer ou d’avancer. Il fallait rester là, supporter ces haleines de peuple et d’alcool, ces regards curieux allumés d’avance pour un spectacle exceptionnel, et dévisageant la belle voyageuse qui décampait avec « que ça de malles ! » et un toutou de cette taille pour défenseur. La Crenmitz avait une peur horrible ; Félicia, elle, ne songeait qu’à une chose, c’est qu’il allait passer devant elle, qu’elle serait au premier rang pour le voir.

Tout à coup un grand cri : « Le voilà ! » puis le silence se fit sur toute la place débarrassée de trois lourdes heures d’attente.

Il arrivait.

Le premier mouvement de Félicia fut de baisser le