Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/427

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éventrées, irrégulières, dégringolantes, les draps de batiste, les services de Saxe tamponnés, chiffonnés, et les serrures empêchées de fonctionner par quelque broderie en déroute, que personne ne se donnait la peine de relever. Pourtant il passait bien des servantes dans cette lingerie, des négresses en madras jaune qui tiraient de là en hâte une serviette, un tablier, marchaient à même ces richesses domestiques répandues, traînaient jusqu’au bout de la pièce sur leurs pieds plats des ruches de dentelles décousues d’un grand jupon qu’une fille de chambre avait jeté, le dé d’un côté, les ciseaux de l’autre, comme un ouvrage prêt à reprendre.

L’artisane demi-rustique qu’était restée la mère du millionnaire Jansoulet se trouvait choquée ici dans le respect, la tendresse, les douces manies qu’inspire à la provinciale l’armoire au linge remplie pièce à pièce jusqu’au faîte, pleine des reliques du passé pauvre, et dont le contenu s’augmente et s’affine peu à peu, premier effort de l’aisance, de la richesse apparente d’un logis. Encore celle-là tenait la quenouille du matin au soir, et si la ménagère s’indignait, la fileuse aurait pleuré comme devant une profanation. À la fin, n’y tenant plus, elle se leva, quitta sa pose observatrice et patiente ; et courbée, active, son petit châle vert déplacé à chaque mouvement, se mit à ramasser, détirer, plier soigneusement ce linge magnifique, comme elle faisait sur les pelouses de Saint-Romans, lorsqu’elle se donnait la fête d’une grande lessive, occupant vingt journalières, les mannes débordant de blancheurs flottantes et les draps claquant au vent du matin sur les longues cordes à sécher. Elle était au plus fort de cette occupation qui lui aurait fait oublier le voyage, Paris, jusqu’à