Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/432

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vait la Levantine. La vieille « Grand » frissonna toute, à la surprise de cette étreinte instinctive :

« Oh ! mon petit… mon petit… », dit-elle en saisissant la grosse petite tête soyeuse et frisée qui lui en rappelait une autre, et elle l’embrassa éperdument. Puis, l’enfant se dégagea, se sauva sans rien dire, les cheveux mouillés de larmes chaudes.

Restée seule avec Cabassu, la mère, que ce baiser avait réconfortée, demanda quelques explications sur les paroles du prêtre. Son fils avait donc beaucoup d’ennemis ?

« Oh ! disait Cabassu, ce n’est pas étonnant, dans sa position…

— Mais enfin qu’est-ce que c’est que ce grand jour, cette séance dont vous me parlez tous ?

— Eh bé ! oui… C’est aujourd’hui qu’on va savoir si Bernard sera ou non député.

— Comment ?… il ne l’est donc pas encore ?… Et moi qui l’ai dit partout dans le pays, moi qui ai tout illuminé Saint-Romans il y a un mois… C’est donc un mensonge qu’on m’a fait faire. »

Le masseur eut beaucoup de peine à lui expliquer les formalités parlementaires de la validation des pouvoirs. Elle n’écoutait que d’une oreille, arpentant la lingerie avec fièvre.

« C’est là qu’il est mon Bernard, en ce moment ?

— Oui, madame.

— Et les femmes, est-ce qu’elles peuvent y entrer à cette Chambre ?… Alors pourquoi donc que la sienne n’y est pas ?… Car, enfin, je comprends bien que c’est une grande affaire pour lui… Il aurait besoin un jour comme aujourd’hui, de sentir tous ceux qu’il aime à son côté… Tiens, sais-tu, mon garçon, tu vas m’y conduire, à sa séance… Est-ce que c’est loin ?