Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/431

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lents, familiers à ceux qui croient toujours avoir au-dessous d’eux les dix marches de hauteur d’une chaire :

« Eh bien ! Madame, le voilà venu le jour, le grand jour où M. Jansoulet va confondre ses ennemis. Confundantur hostes mei, quia injuste iniquitatem fecerunt in me, parce qu’ils m’ont injustement persécuté. »

La vieille s’inclina religieusement devant le latin de l’Église qui passait ; mais sa figure prit une expression vague d’inquiétude à cette idée d’ennemis et de persécutions.

« Ces ennemis sont puissants et nombreux, ma noble dame, mais ne nous alarmons pas outre mesure. Ayons confiance aux décrets du ciel et à la justice de notre cause. Dieu est au milieu d’elle, elle ne sera pas ébranlée. In medio ejus non commovebitur. »

Un nègre gigantesque, tout galonné d’or neuf, l’interrompit, en annonçant que les vélocipèdes étaient prêts, pour la leçon quotidienne sur la terrasse des Tuileries. Avant de partir, les enfants secouèrent encore solennellement la main ridée et caillouteuse de leur aïeule qui les regardait partir, stupéfaite et le cœur serré, quand tout à coup, par un adorable mouvement spontané, le plus jeune, arrivé à la porte, se retourna vivement, bouscula le grand nègre, et vint se jeter, le tête en avant, comme un petit buffle, dans les jupes de la mère Jansoulet qu’il serra à bras-le-corps en lui tendant son front lisse éclaboussé de boucles brunes, avec la bonne grâce de l’enfant qui offre sa caresse comme une fleur. Peut-être celui-là, plus près du nid et de ses tiédeurs, des girons qui bercent et des nourrices aux chansons patoises, avait-il senti venir vers son petit cœur les effluves maternelles dont le pri-