Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/453

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« Enfin, disait un joli garçon à figure de mauvaise femme, il n’a toujours pas prouvé en quoi nos accusations étaient fausses. »

La vieille en entendant cela fit une trouée terrible dans le tas et, se posant en face de Moëssard :

« Ce qu’il n’a pas dit, moi je vais vous le dire. Je suis sa mère et c’est mon devoir de parler. »

Elle s’interrompit pour saisir à la manche Le Merquier qui s’esquivait :

« Vous d’abord, méchant homme, vous allez m’écouter… Qu’est-ce que vous avez contre mon enfant ? Vous ne savez donc pas qui il est ? Attendez un peu, que je vous l’apprenne. »

Et, se retournant vers le journaliste :

« J’avais deux fils, monsieur… »

Moëssard n’était plus là. Elle revint à Le Merquier :

« Deux fils, monsieur… »

Le Merquier avait disparu.

« Oh ! écoutez-moi, quelqu’un, je vous en prie », disait la pauvre mère, jetant autour d’elle ses mains et ses paroles pour rassembler, retenir ses auditeurs ; mais tous fuyaient, fondaient, se dispersaient, députés, reporters, visages inconnus et railleurs auxquels elle voulait raconter son histoire à toute force, sans souci de l’indifférence où tombaient ses douleurs et ses joies, ses fiertés et ses tendresses maternelles exprimées dans un charabia de génie. Et tandis qu’elle s’agitait, se débattait ainsi, éperdue, la coiffe en désordre, à la fois grotesque et sublime comme tous les êtres de nature en plein drame civilisé, prenant à témoin de l’honnêteté de son fils et de l’injustice des hommes jusqu’aux gens de livrée dont l’impassibilité dédaigneuse était plus cruelle que tout, Jansoulet, qui venait à sa rencontre,