Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/454

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inquiet de ne pas la voir, apparut tout à coup à côté d’elle.

« Prenez mon bras, ma mère… Il ne faut pas rester là. »

Il dit cela très haut, d’un ton si calme et si ferme que tous les rires cessèrent, et que la vieille femme subitement apaisée, soutenue par cette étreinte solide où s’appuyaient les derniers tremblements de sa colère, put sortir du palais entre deux haies respectueuses. Couple grandiose et rustique, les millions du fils illuminant la paysannerie de la mère comme ces haillons de sainte qu’entoure une châsse d’or, ils disparurent dans le beau soleil qu’il faisait dehors, dans la splendeur de leur carrosse étincelant, ironie féroce en présence de cette grande détresse, symbole frappant de l’épouvantable misère des riches.

Tous deux assis au fond, car ils craignaient d’être vus, ils ne se parlèrent pas d’abord. Mais dès que la voiture se fut mise en route, qu’il eut vu fuir derrière lui le triste calvaire où son honneur restait au gibet, Jansoulet, à bout de forces, posa sa tête contre l’épaule maternelle, la cacha dans un croisement du vieux châle vert, et là, laissant ruisseler des larmes brûlantes, tout son grand corps secoué par les sanglots, il retrouvait le cri de son enfance, sa plainte patoise de quand il était tout petit : « Mama… Mama… »