Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/465

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air de jeunesse, une flamme aux yeux, quelque chose de si piquant, qu’il s’arrêta pour la regarder. Grande et belle, sa longue robe de gaze noire déroulée, les épaules serrées dans une mantille de dentelle où le bouquet de son chapeau jetait une guirlande de feuillage d’automne, elle s’éloignait, disparaissait au milieu d’autres femmes non moins élégantes, dans une atmosphère embaumée ; et la pensée que ses yeux allaient se fermer pour toujours à ce joli spectacle qu’il savourait en connaisseur, assombrit un peu l’ancien beau, ralentit l’élan de sa marche. Mais quelques pas plus loin, une rencontre d’un autre genre lui rendit tout son courage.

Quelqu’un de râpé, de honteux, d’ébloui par la lumière, traversait le boulevard ; c’était le vieux Marestang, ancien sénateur, ancien ministre, si gravement compromis dans l’affaire des Tourteaux de Malte que, malgré son âge, ses services, le grand scandale d’un procès pareil, il avait été condamné à deux ans de prison, rayé des registres de la Légion d’honneur, où il comptait parmi les grands dignitaires. L’affaire déjà ancienne, le pauvre diable, gracié d’une partie de son temps, venait de sortir de prison, éperdu, dérouté, n’ayant pas même de quoi dorer sa détresse morale, il avait fallu rendre gorge. Debout au bord du trottoir il attendait la tête basse que la chaussée encombrée des voitures lui laissât un passage libre, embarrassé de cet arrêt au coin le plus hanté des boulevards, pris entre les piétons et ce flot d’équipages découverts, remplis de figures connues. Monpavon, passant près de lui, surprit ce regard timide, inquiet, implorant un salut et s’y dérobant à la fois. L’idée qu’il pourrait un jour s’humilier ainsi lui fit faire un haut-le-corps de