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Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/506

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d’une grande vie d’ombres et de reflets, les unes massées aux coins obscurs du bas pourtour, les autres éclairées vivement, les portes des loges ouvertes, par la réverbération des murs blancs du couloir ; public des premières toujours le même, ce brigand de tout Paris qui va partout, emportant d’assaut ces places enviées, quand une faveur, une fonction quelconque ne les lui donne pas.

À l’orchestre, les gilets à cœur, les clubs, crânes luisants, larges raies dans des cheveux rares, gants clairs, grosses lorgnettes braquées. Aux galeries, mêlées de mondes et de toilettes, tous les noms connus de ces sortes de solennités, et la promiscuité gênante qui place le sourire contenu et chaste de l’honnête femme à côté des yeux brûlants de khôl, de la bouche en traits de vermillon des autres. Chapeaux blancs, chapeaux roses, diamants et maquillage. Au-dessus, les loges présentent la même confusion : des actrices et des filles, des ministres des ambassadeurs, des auteurs fameux, des critiques ceux-ci l’air grave, les sourcils froncés, jetés de travers sur leur fauteuil avec la morgue impassible de juges que rien ne peut corrompre. Les avant-scènes tranchent en lumière, en splendeur sur l’ensemble, occupées par des célébrités de la haute banque, les femmes décolletées et bras nus, ruisselantes de pierreries comme la reine de Saba dans sa visite au roi des Juifs. À gauche seulement une de ces grandes loges, complètement vide, attire l’attention par sa décoration bizarre, éclairée au fond d’une lanterne mauresque. Sur toute l’assemblée une poussière impalpable et flottante, le papillotement du gaz, son odeur mêlée à tous les plaisirs parisiens, ses susurrements aigus et courts comme une respiration phtisique, accompagnant le jeu des éven-