Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/53

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tières précieuses, des mille richesses variées d’un pays neuf dont tout le monde parle et que personne ne connaît. En fondant cet établissement sans pareil, Paganetti de Porto-Vecchio a eu pour but de monopoliser l’exploitation de toute la Corse : mines de fer, de soufre, de cuivre, carrières de marbre, corailleries, huîtrières, eaux ferrugineuses, sulfureuses, immenses forêts de thuyas, de chênes-lièges, et d’établir pour faciliter cette exploitation, un réseau de chemins de fer à travers l’île, plus un service de paquebots. Telle est l’œuvre gigantesque à laquelle il s’est attelé. Il y a englouti des capitaux considérables, et c’est le nouveau venu, l’ouvrier de la dernière heure, qui bénéficiera de tout.

Pendant qu’avec son accent italien, des gestes effrénés le Corse énumère les « splendeurs » de l’affaire, Monpavon, hautain et digne, approuve de la tête avec conviction, et de temps en temps, quand il juge le moment convenable, jette dans la conversation le nom du duc de Mora, qui fait toujours son effet sur le Nabab.

« Enfin, qu’est-ce qu’il faudrait ?

— Des millions », dit Monpavon fièrement, du ton d’un homme qui n’est pas embarrassé pour s’adresser ailleurs. Oui, des millions. Mais l’affaire est magnifique. Et, comme disait Son Excellence, il y aurait là pour un capitaliste une haute situation à prendre, même une situation politique. Pensez donc ! dans ce pays sans numéraire. On pouvait devenir conseiller général député… Le Nabab tressaille… Et le petit Paganetti, qui sent l’appât frémir sur son hameçon : « Oui, député, vous le serez quand je voudrai… Sur un signe de moi toute la Corse est à votre dévotion… » Puis il se lance dans une improvisation étourdissante, comptant les voix dont il dispose, les cantons qui se lèveront à