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Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/90

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d’étaler ainsi un concubinage honteux. Et Paris s’en doutait, mais cela ne l’empêchait pas d’accourir à leurs fêtes. Enfin, ce Jansoulet, si bon, si généreux, pour lequel il se sentait au cœur tant de reconnaissance, il le savait tombé aux mains d’une troupe de bandits, bandit lui-même et bien digne de l’exploration organisée pour faire rendre gorge à ses millions…

Était-ce possible et qu’en fallait-il croire ?

Un coup d’œil de côté jeté sur le Nabab, dont la vaste personne encombrait le trottoir, lui révéla tout à coup dans cette démarche calée par le poids des écus, quelque chose de bas et de canaille qu’il n’avait pas encore remarqué. Oui, c’était bien l’aventurier du Midi, pétri de ce limon qui couvre les quais de Marseille piétinés par tous les nomades, les errants de ports de mer. Bon généreux, parbleu ! comme les filles, comme les voleurs. Et l’or coulant par torrents dans ce milieu taré et luxueux, éclaboussant jusqu’aux murailles, lui semblait charrier maintenant toutes les scories, toutes les boues de sa source impure et fangeuse. Alors, lui, de Géry n’avait plus qu’une chose à faire, partir, quitter au plus vite cette place où il risquait de compromettre son nom, l’unique héritage paternel. Sans doute. Mais les deux frérots, là-bas au pays, qui payerait leur pension ? Qui soutiendrait le modeste foyer miraculeusement relevé par les beaux appointements de l’aîné, du chef de famille ? Ce mot de chef de famille le rejetait aussitôt dans un de ces combats intérieurs où luttent l’intérêt et la conscience, — l’une brutale, solide, attaquant à fond avec des coups droits, l’autre fuyant, rompant par des dégagements subtils, — pendant que le brave Jansoulet, cause ignorante du conflit, marchait à grandes enjambées