Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/136

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Alors je lui racontai dans tous ses détails toute l’horrible scène du cabinet.

À mesure que je parlais, je voyais la physionomie de Roger s’éclaircir ; il ne me regardait plus du même air rogue, et à la fin, quand il eut appris comment, pour ne pas le trahir, je m’étais laissé chasser du collège, il me tendit ses deux mains ouvertes et me dit simplement :

— Daniel, vous êtes un noble cœur.

À ce moment, nous entendîmes dans la rue le roulement d’une voiture ; c’était le sous-préfet qui s’en allait.

— Vous êtes un noble cœur, reprit mon bon ami le maître d’armes en me serrant les poignets à les briser, vous êtes un noble cœur, je ne vous dis que ça… Mais vous devez comprendre que je ne permettrai à personne de se sacrifier pour moi.

Tout en parlant, il s’était rapproché de la porte :

— Ne pleurez pas, monsieur Daniel, je vais aller trouver le principal, et je vous jure que ce n’est pas vous qui serez chassé.

Il fit encore un pas pour sortir ; puis, revenant vers moi comme s’il oubliait quelque chose :

— Seulement, me dit-il à voix basse, écoutez bien ceci avant que je m’en aille… Le grand Roger n’est pas seul au monde ; il a quelque part une mère infirme dans un coin… Une mère !… pauvre sainte femme !… Promettez-moi de lui écrire quand tout sera fini.