Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/204

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petites pattes sur les ardoises… J’avais aussi les cloches de Saint-Germain qui me rendaient visite plusieurs fois dans le jour. J’aimais bien quand elles venaient me voir. Elles entraient bruyamment par la fenêtre et remplissaient la chambre de musique. Tantôt des carillons joyeux et fous précipitaient leurs doubles croches, tantôt des glas noirs, lugubres, dont les notes tombaient une à une comme des larmes. Puis j’avais les angélus : l’Angélus de midi, un archange aux habits de soleil qui entrait chez moi tout resplendissant de lumière ; l’Angélus du soir, un séraphin mélancolique qui descendait dans un rayon de lune et faisait toute la chambre humide en y secouant ses grandes ailes.

La Muse, les pierrots, les cloches, je ne recevais jamais d’autres visites. Qui serait venu me voir ? Personne ne me connaissait. À la crémerie de la rue Saint-Benoît, j’avais toujours soin de me mettre à une petite table à part de tout le monde ; je mangeais vite, les yeux dans mon assiette ; puis, le repas fini, je prenais mon chapeau furtivement et je rentrais à toutes jambes. Jamais une distraction, jamais une promenade ; pas même la musique au Luxembourg. Cette timidité maladive que je tenais de madame Eyssette était encore augmentée par le délabrement de mon costume et ces malheureux caoutchoucs qu’on n’avait pas pu remplacer. La rue me faisait peur, me rendait honteux. Je n’aurais jamais voulu descendre de mon clocher. Quelquefois pourtant, par ces jolis soirs mouillés des printemps parisiens, je rencontrais, en revenant de la