Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me proposait jamais de m’emmener ; et moi, j’étais trop fier pour le demander. Le moyen d’ailleurs d’aller quelque part, avec des caoutchoucs ? Un dimanche pourtant, au moment de partir chez Pierrotte, Jacques me dit avec un peu d’embarras :

— Est-ce que tu n’aurais pas envie de m’accompagner là-bas, petit Daniel ? Tu leur ferais sûrement un grand plaisir.

— Mais, mon cher, tu plaisantes…

— Oui, je le sais bien…Le salon de Pierrotte n’est guère la place d’un poëte… Ils sont là un tas de vieilles peaux de lapins…

— Oh ! ce n’est pas pour cela, Jacques ; c’est seulement à cause de mon costume…

— Tiens ! au fait… je n’y songeais pas, dit Jacques.

Et il partit comme enchanté d’avoir une vraie raison pour ne pas m’emmener.

À peine au bas de l’escalier, le voilà qui remonte et vient vers moi tout essoufflé.

— Daniel, me dit-il, si tu avais eu des souliers et une jaquette présentable, m’aurais-tu accompagné chez Pierrotte ?

— Pourquoi pas ?

— Eh bien, alors, viens… je vais t’acheter tout ce qu’il te faut, nous irons là-bas.

Je le regardai, stupéfait. « C’est la fin du mois, j’ai de l’argent, » ajouta-t-il pour me convaincre. J’étais si content de l’idée des nippes fraîches que je ne remarquai pas l’émotion de Jacques