Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/219

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rouge qui riait. Au fond, dans l’arrière-boutique, quelqu’un jouait de la flûte.

— Bonjour, Pierrotte ! cria Jacques en se campant devant le comptoir… (J’étais à côté de lui, dans la lumière de la lampe)… Bonjour, Pierrotte !

Pierrotte, qui faisait sa caisse, leva les yeux à la voix de Jacques ; puis, en m’apercevant, il poussa un cri, joignant les mains, et resta là, stupide, la bouche ouverte, à me regarder.

— Eh bien, fit Jacques d’un air de triomphe, que vous avais-je dit ?

— Oh mon Dieu ! mon Dieu ! murmura le bon Pierrotte, il me semble que… C’est bien le cas de le dire… Il me semble que je la vois.

— Les yeux surtout, reprit Jacques, regardez les yeux, Pierrotte.

— Et le menton, monsieur Jacques, le menton avec la fossette, répondit Pierrotte, qui pour mieux me voir avait levé l’abat-jour de la lampe.

Moi, je n’y comprenais rien. Ils étaient là tous les deux à me regarder, à cligner de l’œil, à se faire des signes… Tout à coup Pierrotte se leva, sortit du comptoir et vint à moi les bras ouverts :

— Avec votre permission, monsieur Daniel, il faut que je vous embrasse… C’est bien le cas de le dire. Je vais croire embrasser mademoiselle.

Ce dernier mot m’expliqua tout. À cet âge-là, je ressemblais beaucoup à madame Eyssette, et pour Pierrotte, qui n’avait pas vu mademoiselle depuis quelque vingt-cinq ans, cette ressemblance était encore plus frappante. Le brave homme ne pouvait