Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/232

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je voyais bien à son air que cela n’allait pas comme il aurait voulu… Le dimanche, quand il revenait de chez Pierrotte, il était toujours triste. La nuit je l’entendais soupirer, soupirer… Si je lui demandais : « Qu’est-ce que tu as, Jacques  ? » Il me répondait brusquement : « Je n’ai rien. » Mais je comprenais qu’il avait quelque chose, rien qu’au ton dont il me disait cela. Lui, si bon, si patient, il avait maintenant avec moi des mouvements d’humeur. Quelquefois il me regardait comme si nous étions fâchés. Je me doutais bien, vous pensez, qu’il y avait là-dessous quelque gros chagrin d’amour ; mais comme Jacques s’obstinait à ne pas m’en parler, je n’osais pas en parler non plus. Pourtant, certain dimanche qu’il m’était revenu plus sombre qu’à l’ordinaire, je voulus en avoir le cœur net.

— Voyons ! Jacques, qu’as-tu ? lui dis-je en lui prenant les mains… Cela ne va donc pas, là-bas ?

— Eh bien, non !… cela ne va pas…, répondit le pauvre garçon d’un air découragé.

— Mais enfin, que se passe-t-il ? Est-ce que Pierrotte se serait aperçu de quelque chose ? Voudrait-il vous empêcher de vous aimer ?…

— Oh ! non ! Daniel, ce n’est pas Pierrotte qui nous empêche… C’est elle qui ne m’aime pas, qui ne m’aimera jamais.

— Quelle folie Jacques ! Comment peux-tu savoir qu’elle ne t’aimera jamais… Lui as-tu dit que tu l’aimais, seulement ? Non n’est-ce pas ?… Eh bien, alors…