Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/271

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enfin avec le premier exemplaire qu’on ouvre en tremblant du bout des doigts… Dites ! est-il rien de plus délicieux au monde ?

Pensez que le premier exemplaire de la Comédie pastorale revenait de droit aux yeux noirs. Je le leur portai le soir même, accompagné de la mère Jacques qui voulait jouir de mon triomphe. Nous fîmes notre entrée dans le salon jonquille, fiers et radieux. Tout le monde était là :

— Monsieur Pierrotte, dis-je au Cévenol, permettez-moi d’offrir ma première œuvre à Camille. » Et je mis mon volume dans une chère petite main qui frémissait de plaisir. Oh ! si vous aviez vu le joli merci que les yeux noirs m’envoyèrent, et comme ils resplendissaient en lisant mon nom sur la couverture. Pierrotte était moins enthousiasmé, lui. Je l’entendis demander à Jacques combien un volume comme cela pouvait me rapporter :

— Onze cents francs, répondit Jacques avec assurance. » Là-dessus, ils se mirent à causer longuement, à voix basse, mais je ne les écoutai pas. J’étais tout à la joie de voir les yeux noirs abaisser leurs grands cils de soie sur les pages de mon livre et les relever vers moi avec admiration… Mon livre ! les yeux noirs ! Deux bonheurs que je devais à ma mère Jacques…

Ce soir-là, avant de rentrer, nous allâmes rôder dans les galeries de l’Odéon pour juger de l’effet que la Comédie pastorale faisait à l’étalage des librairies.

— Attends-moi, me dit Jacques ; je vais voir combien on en a vendu.