Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/324

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Jacques pâlit, pressentant une catastrophe.

« Regardez donc dans ce coin, continua l’Alsacien, tous ces volumes empilés. C’est la Comédie pastorale. Depuis cinq mois qu’elle est dans le commerce, on n’en a vendu qu’un exemplaire. À la fin, les libraires se sont lassés et m’ont renvoyé les volumes qu’ils avaient en dépôt. À l’heure qu’il est tout cela n’est plus bon qu’à vendre au poids du papier. C’est dommage, c’était bien imprimé. »

Chaque parole de cet homme tombait sur la tête de Jacques comme un coup de canne plombée, mais ce qui l’acheva fut d’apprendre que Daniel, en son nom, avait emprunté de l’argent à l’imprimeur.

— Pas plus tard qu’hier, dit l’impitoyable Alsacien, il m’a envoyé une horrible négresse pour me demander deux louis ; mais j’ai refusé net. D’abord parce que ce mystérieux commissionnaire à tête de ramoneur ne m’inspirait pas confiance ; et puis, vous comprenez, monsieur Eyssette, moi, je ne suis pas riche, et cela fait déjà plus de quatre cents francs que j’avance à votre frère.

— Je le sais, répondit fièrement la mère Jacques, mais soyez sans inquiétude, cet argent vous sera bientôt rendu. Puis il sortit bien vite, de peur de laisser voir son émotion. Dans la rue, il fut obligé de s’asseoir sur une borne. Les jambes lui manquaient. Son enfant en fuite, sa place perdue, l’argent de l’imprimeur à rendre, la chambre, le portier, l’échéance du surlendemain, tout cela bourdonnait, tourbillonnait dans sa cervelle… Tout à coup