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Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/340

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gner votre vie, et si seulement vous promettiez… Mais, baste ! nous recauserons de cela plus tard… Allons acheter tes habits. »

Je fus obligé, pour sortir, d’endosser une de ses redingotes, qui me tombait jusqu’aux talons et me donnait l’air d’un musicien piémontais ; il ne me manquait qu’une harpe. Quelques mois auparavant, si j’avais dû courir les rues dans un pareil accoutrement, je serais mort de honte ; mais, pour l’heure, j’avais bien d’autres hontes à fouetter, et les yeux des femmes pouvaient rire sur mon passage, ce n’était plus la même chose que du temps de mes caoutchoucs… Oh ! non ! ce n’était plus la même chose.

— À présent que te voilà chrétien, me dit la mère Jacques en sortant de chez le fripier, je vais te ramener à l’hôtel Pilois ; puis j’irai voir si le marchand de fer dont je tenais les livres avant mon départ veut encore me donner de l’ouvrage… L’argent de Pierrotte ne sera pas éternel ; il faut que je songe à notre pot-au-feu !

J’avais envie de lui dire : « Eh bien, Jacques, va-t’en chez ton marchand de fer. Je saurai bien rentrer seul à la maison. » Mais ce qu’il en faisait, je le compris, c’était pour être sûr que je n’allais pas retourner à Montparnasse. Ah ! s’il avait pu lire en mon âme.

… Pour le tranquilliser, je le laissai me reconduire jusqu’à l’hôtel ; mais à peine eut-il les talons tournés que je pris mon vol dans la rue. J’avais des courses à faire, moi aussi…