Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/351

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Ce que je vis, en ouvrant la porte, me terrifia. Jacques, pour me laisser le lit, sans doute, s’était fait mettre un matelas sur le canapé, et c’est là que je le trouvai, pâle, horriblement pâle, tout à fait semblable au Jacques de mon rêve…

Ma première idée fut de me jeter sur lui, de le prendre dans mes bras et de le porter sur son lit, n’importe où, mais de l’enlever de là, mon Dieu, de l’enlever de là. Puis, tout de suite, je fis cette réflexion : « Tu ne pourras pas, il est trop grand ! » Et alors, ayant vu ma mère Jacques étendu sans rémission à cette place où le rêve avait dit qu’il devait mourir, mon courage m’abandonna ; ce masque de gaieté contrainte, qu’on se colle au visage pour rassurer les moribonds, ne put pas tenir sur mes joues, et je vins tomber à genoux près du canapé, en versant un torrent de larmes.

Jacques se tourna vers moi péniblement :

— C’est toi, Daniel… Tu as rencontré le médecin, n’est-ce pas ? Je lui avais pourtant bien recommandé de ne pas t’effrayer, à ce gros-là. Mais je vois à ton air qu’il n’en a rien fait et que tu sais tout… Donne-moi ta main, frérot… Qui diable se serait douté d’une chose pareille ? Il y a des gens qui vont à Nice pour guérir leur maladie de poitrine moi, je suis allé en chercher une. C’est tout à fait original… Ah ! tu sais ! si tu te désoles, tu vas m’enlever tout mon courage ; je ne suis déjà pas si vaillant… Ce matin, après ton départ, j’ai compris que cela se gâtait. J’ai envoyé chercher le curé de Saint-Pierre ; il est venu me voir et reviendra tout